Le tonnerre gronde et la foudre m’assourdit. Les milliers de gouttes de pluie qui s’écrasent au sol, tombant sans repère pour venir percuter le sol en dizaines d’éclats semblables à de minuscules perles m’empêche de voir où je vais. Mes cheveux sont complètement trempés et me tombe devant les yeux. Je suis frigorifiée mais il faut que j’atteigne la rivière parce que c’est là que Lyzée est. C’est le seul endroit où elle peut être. L’endroit où elle va toujours.
Un cri monte dans ma gorge, mais je le retiens au dernier moment. Je papillonne des yeux et me demande une seconde où je suis, avant de me rappeler de tout. J’essaie de respirer calmement, de me concentrer sur ma respiration pour dissoudre l’angoisse qui me tord le ventre et m’empêche presque de respirer. Je déteste mes souvenirs. Tant qu’à en oublier une partie, j’aurais préféré oublier la mort de ma jumelle. Heureusement, j’arrive à somnoler sans que ça paraisse trop. Et à ne pas crier. Il est tôt. J’appuie ma tête sur les barreaux de ma cage et laisse mon regard se perdre, s’arrêtant un instant sur les autres cages, sur les autres esclaves dont beaucoup ont déjà les yeux rivés sur la porte, sur le vendeur, puis sur le vide.
Je me perds rapidement dans mes pensées, cherchant à capturer les souvenirs qui flottent à la limite de ma conscience, juste assez loin pour que j’ai l’espoir de les attraper tout en sachant que je n’y arriverais pas.
J’ai envie de dessiner, mais je n’ai plus ni crayon, ni papier, alors je fais le vide dans ma tête et je regarde les gens entrer, j’imagine comment serait leurs visages figés sur du papier, les lignes que je tracerais pour finir par former leur silhouettes, même si je n’aurais pas vraiment envie de les dessiner. Pas eux. La plupart de leurs regards sont trop froids, leurs expressions trop neutres, impitoyables… Mais bon, faute de mieux… c’est ça ou ne rien faire du tout.
Les heures passent sans que je m’en aperçoive vraiment. Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est et ça ne m’intéresse pas de toute façon. Les gens défilent sous mon regard océan, la plupart sans même remarquer que je les observe. Parfois, je me dis que le temps est assez tranquille. Il ne fait que courir, toujours, au rythme des minutes qui s’égrainent en secondes, toujours à la même vitesse, jusqu’à former des semaines, des mois et des années, qui finissent par se diviser en trois catégories distinctes : Le passé, le présent et le futur. Je crois que ça à toujours été comme ça et que ça le sera toujours. Comme il fût au commencement, ainsi est maintenant et en sera éternellement. Un sourire étire doucement mes lèvres. Une chose qui ne change pas. Même si le monde s’écroulait demain, le temps continuerait de passer. C’est une chose que je trouve rassurante.
Laissant mon regard continuer de se perdre dans le magasin, je croise celui d’une jeune femme vêtue de blanc. Des cheveux noirs, assez longs, avec peut-être une touche bleutée, des yeux du vert le plus éclatant que j’ai jamais vu, vert mousse peut-être, avec un peu de lime. Plusieurs fleurs sont accrochées à ses cheveux. Je lui donnerais environ mon âge, peut-être un peu plus jeune. Celle-là, je crois que je la dessinerais.
Je penche doucement la tête de coté et sourit presque imperceptiblement. Je ne sais pas qui c’est, mais la fixer sans rien faire d’autre me semble impolie.